Chronique du DG

Passer à l’échelle supérieure de la durabilité : il est temps pour la foresterie de sortir de la forêt

BOGOR, Indonésie (10 octobre 2012)_Arrêter la déforestation a été un objectif politique depuis des décennies, voire des siècles – une ambition insatisfaite, tout comme la recherche de la paix mondiale et l’éradication de la famine. Le défi a reçu une attention accrue au cours des cinq dernières années en raison du changement climatique et du fait que les forêts gardent des stocks massifs de carbone hors de l'atmosphère.
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BOGOR, Indonésie (10 octobre 2012)_Arrêter la déforestation a été un objectif politique depuis des décennies, voire des siècles – une ambition insatisfaite, tout comme la recherche de la paix mondiale et l’éradication de la famine. Le défi a reçu une attention accrue au cours des cinq dernières années en raison du changement climatique et du fait que les forêts gardent des stocks massifs de carbone hors de l’atmosphère.

Le programme soutenu par l’ONU connu sous le nom de REDD+ (Réduction des Emissions issues de la Déforestation et de la Dégradation des forêts, ainsi que la conservation et l’amélioration des stocks de carbone forestiers) pourrait recevoir des paiements relativement importants afin de garder ce carbone dans les forêts. En conséquence, une partie importante des efforts internationaux de foresterie a récemment été concentrée sur cet objectif. L’utilisation des forêts pour contrer le changement climatique induit par l’humanité est un but admirable, et il est probable que d’autres objectifs forestiers, tels que la préservation de la diversité biologique, pourraient aussi en profiter. Mais cet axe essentiel est devenu presque myope. Nous ne devons pas négliger que le plus grand potentiel de la foresterie est de contribuer aux questions de développement économique et humain.

La foresterie n’est pas un secteur isolé et déconnecté du monde au-delà des arbres. Pour les populations locales, la forêt est une source d’énergie renouvelable, de nourriture et de moyens de subsistance. Les résultats obtenus l’année dernière par une étude sur six ans, effectuée par le Centre de Recherche Forestière Internationale, montrent que le revenu moyen sur les forêts représente plus d’un cinquième du revenu total des ménages de personnes vivant dans ou à proximité des forêts. Ceci inclus le bois de chauffage et de construction, la viande de brousse, les plantes comestibles et médicinales. Les produits forestiers contribuent également de façon significative aux affaires et commerces mondiaux, car les produits forestiers ligneux et non ligneux constituent 4% du commerce mondial de marchandises. Les forêts fournissent aussi des services environnementaux qui sont essentiels pour maintenir la vie, tels que la biodiversité et bien sûr la régulation du climat par le stockage de carbone. Alors que le REDD + a contribué à mieux faire connaître ce dernier service, il y a un débat étonnamment limité sur les manières par lesquelles les bénéfices combinés de la foresterie apportent une contribution de poids aux solutions globales de développement durable.

La sécurité alimentaire est un domaine où les programmes de conservation et de développement humain ont été établis comme étant des rivaux. Il est clair que sans sécurité alimentaire pour tous, nous ne pouvons pas prétendre au succès du développement durable. Le sort d’un milliard de personnes sous-alimentées dans le monde est un énorme dilemme moral et de développement qui doit être abordé.

La conservation des forêts est souvent perçue en opposition au développement économique. Cependant la conservation, l’utilisation des terres et le développement sont liés sans équivoque et, en les combinant plutôt que de les opposer les uns contre les autres, nous pouvons construire des solutions globales plutôt que des scénarios « soit l’un – soit l’autre ».

Toutefois, pour y parvenir, nous devons mettre en question l’argument selon lequel la sécurité alimentaire exige principalement la production de plus de nourriture. Au lieu de cela, nous devons comprendre que l’insécurité alimentaire est en grande partie causée par la pauvreté, le manque d’accès à la nourriture et une nutrition inadéquate. La sécurité alimentaire n’est donc pas obtenue en produisant simplement plus de calories par hectare.

Ceci est important pour le rôle de la foresterie de différentes façons. Premièrement, les politiques stimulant l’expansion agricole (c’est à dire la déforestation) ne devraient pas le faire au nom de la sécurité alimentaire. Deuxièmement, la foresterie, y compris l’agroforesterie, offre des opportunités pour une plus grande diversité des aliments et en conséquent une meilleure nutrition. Troisièmement, les revenus provenant des produits et services forestiers peuvent réduire la pauvreté, l’un des facteurs sous-jacents de l’insécurité alimentaire. Et nous avons besoin d’une meilleure reconnaissance du rôle que joue la foresterie dans la fourniture d’énergie pour la cuisine de centaines de millions de personnes, une dimension de la sécurité alimentaire souvent négligée.

Si nous évitons la fausse dichotomie entre la foresterie et la sécurité alimentaire, nous constatons que ces différents objectifs de durabilité peuvent en fait se soutenir mutuellement. De la même façon, l’orientation vers des paysages sains et résilients, la réduction des impacts environnementaux de l’agriculture et l’amélioration des possibilités de commercialisation des produits du terroir font toutes parties de la même équation de durabilité. La contribution du secteur forestier peut être intensifiée grâce à des pratiques améliorées. Bien que ces solutions doivent être spécifiques selon le contexte local, je vois trois principaux besoins à un niveau général:

  • Un financement privé, juste, abordable et accessible est nécessaire, qui favorise l’utilisation durable des terres, en particulier pour les petits exploitants ruraux. Nous nous attendons à ce que des programmes tels que REDD+ fassent augmenter ou stimuler les investissements dans l’utilisation durable des terres, mais les besoins de la finance rurale doivent aussi être abordés de façon plus générale.
  • Les politiques alimentaires devraient reconnaître la valeur que la foresterie apporte à la table. La sécurité alimentaire et nutritionnelle dépend d’une variété de facteurs où la foresterie à une position clé – à la fois pour l’alimentation, l’énergie renouvelable et la résilience des paysages.
  • Il doit être reconnu que des initiatives mondiales, ambitieuses et ciblées relatives aux forêts telles que REDD + peuvent apporter des avantages à une échelle plus large et doivent donc être considérées comme faisant partie intégrante des efforts de développement rural, plutôt que des projets de conservation.

La foresterie a trop souvent été définie en termes de ce qu’elle peut arrêter plutôt que de ce qu’elle peut créer. Tant que nous continuons de mesurer les contributions des forêts uniquement par les indices de référence qui sont la fin de la déforestation et la limitation du changement climatique, nous allons être aveugle aux avantages beaucoup plus amples que la foresterie peut apporter au développement durable. Il est temps pour la foresterie de sortir de la forêt.

Peter Holmgren est directeur général du Centre de Recherche Forestière Internationale. Cet article a d’abord été publié dans le Guardian

 

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