Protoxyde d’azote et méthane : les gaz négligés dans les débats sur les forêts et les changements climatiques

À Bogor, Indonésie (le 5 octobre 2012)_Selon certains chercheurs, les décideurs qui cherchent à réduire les gaz à effet de serre dus au déboisement devraient tenir compte du rejet de protoxyde d’azote et de méthane dans l’atmosphère du fait des changements dans l’utilisation des sols en faveur de l’implantation de cultures de palmiers à huile et de soja en particulier.
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Une vache de taille moyenne rejette 600 litres de méthane par jour par ses rots et l’expiration. Couper les forêts pour les remplacer par des pâturages a-t-il un double effet négatif sur le climat ? Jill Matsuyama

À Bogor, Indonésie (le 5 octobre 2012)_Selon certains chercheurs, les décideurs qui cherchent à réduire les gaz à effet de serre dus au déboisement devraient tenir compte du rejet de protoxyde d’azote et de méthane dans l’atmosphère du fait des changements dans l’utilisation des sols en faveur de l’implantation de cultures de palmiers à huile et de soja en particulier.

Si ces gaz négligés ne représentent qu’une petite partie des émissions de gaz à effet de serre totales issues de la déforestation, le protoxyde d’azote a un potentiel de réchauffement de l’atmosphère pouvant aller jusqu’à 300 fois celui du dioxyde de carbone sur une période d’un siècle. Quant au méthane, son potentiel est 25 fois plus élevé, si l’on en croit Kristell Hergoualc’h, chercheuse au Centre de recherche forestière internationale (CIFOR).

Il faut donc commencer à leur accorder une place plus importante dans les débats sur les changements climatiques.

La dégradation des forêts et les changements dans l’utilisation du sol sont à l’origine d’environ 12 % des émissions de gaz à effet de serre totales, dont la majeure partie est constituée du dioxyde de carbone rejeté à l’occasion des feux de forêt et du déboisement.

Ce n’est pas le déboisement en lui-même qui produit des émissions de protoxyde d’azote et de méthane. Ce sont les changements d’utilisation du sol avec la transformation des forêts en terres cultivées et pâturages (il est estimé qu’une vache de taille moyenne rejette 600 litres de méthane par ses rots et l’expiration) et l’utilisation d’engrais azotés pour augmenter les rendements agricoles, qui se traduisent par une augmentation des concentrations de ces deux gaz dans l’atmosphère.

Émissions issues des tourbières et des mangroves

Selon Hergoualc’h, les tourbières et les mangroves sont connues pour leur potentiel de stockage du carbone très important : les sols de mangrove stockent à eux seuls quatre fois plus de carbone que les arbres. Toutefois, nos connaissances sur les émissions de méthane et de protoxyde d’azote sont plus limitées. Or ces dernières sont peut-être un facteur important dans l’évaluation du potentiel de réchauffement climatique de ces écosystèmes.

« Il faut que nous puissions connaître le rôle joué par chaque type de changement de l’utilisation du sol dans le réchauffement de la planète, car il est probable que ces changements aillent en s’accroissant à l’avenir », nous met en garde Hergoualc’h.

Le suivi et la notification précises du dioxyde de carbone et des autres émissions de gaz à effet de serre sont essentiels pour les pays qui participent à des programmes d’atténuation des changements climatiques, tels que la Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation (REDD+), programme qui rémunère les pays en développement en échange du stockage de carbone dans les arbres et les sols.

« Le REDD+ ne portera ses fruits que si l’on peut prouver les impacts des actions, ce qui suppose que l’on soit capables de quantifier les transferts de carbone et d’autres gaz à effet de serre des écosystèmes vers l’atmosphère », déclare Louis Verchot, qui travaille sur l’Etude comparative mondiale sur le REDD+ du CIFOR en tant que chercheur principal.

L’un des objectifs de cette étude d’une durée de quatre ans est d’aider les pays en développement à élaborer des systèmes robustes de suivi, notification et vérification (SNV) visant à mesurer précisément les résultats de réduction des émissions obtenus par ces pays.

« C’est un défini technique énorme, affirme Verchot, surtout pour les pays n’ayant pas de données historiques ni les technologies nécessaires au contrôle de leurs taux de déforestation et de dégradation, et de l’état de leurs stocks de carbone. »

En Indonésie, 60 % des émissions nationales de gaz à effet de serre proviennent des changements d’affectation des sols, découlant en partie de la demande croissante en huile de palme et autres cultures agricoles. Plus de 60% des mangroves et 45% des tourbières ont déjà disparu pour répondre à cette demande.

Pendant le même temps, les engrais utilisés pour augmenter les rendements des palmiers à huile dans les paysages reconvertis, comme à Sumatra, sont à l’origine d’émissions importantes de protoxyde d’azote.

« Lors de l’élimination de la tourbe, l’azote naturel du sol n’est plus disponibles pour les plantes, de sorte que pour assurer une forte croissance des jeunes palmiers à huile, des engrais en forte quantité sont ajoutés pendant les trois à quatre premières années de plantation. Les engrais favorisent le développement de bactéries dans le sol qui convertissent l’azote en protoxyde d’azote », explique Hergoualc’h.

« Nous devons trouver le moyen de réduire ces émissions causées par l’adjonction d’engrais, sans diminuer la productivité du système », ajoute-t-elle.

Des recherches plus approfondies sont nécessaires pour comprendre le lien de cause à effet possible entre les activités d’atténuation des changements climatiques et les émissions de gaz à effet de serre, surtout en ce qui concerne la production d’agrocarburants.

Par exemple, il a déjà été montré dans une étude que les agrocarburants avaient en fait des effets négatifs sur l’environnement. Cette étude concluait que les cultures pour le biodiesel (jatropha et soja) qui exigent une utilisation intensive d’engrais azotés « contribuent autant voire plus au réchauffement climatique par le biais de leurs émissions de protoxyde d’azote qu’elles ne participent au refroidissement par les économies de combustibles fossiles qu’elles permettent de réaliser. »

De la même façon, des recherches menées par le CIFOR semblent indiquer que la ré-humidification des tourbières drainées, mesure ayant pour but d’éviter les émissions de carbone dues aux feux de forêt et à la dégradation des tourbières pourrait augmenter les taux de méthane provenant du sol. L’augmentation potentielle des émissions de méthane serait probablement compensée par la réduction des émissions de dioxyde de carbone, mais plus de recherches sont nécessaires pour quantifier les volumes en jeu.

« Les décideurs devront prendre en compte l’ensemble des répercussions des changements dans les utilisations du sol afin d’évaluer « leur impact véritable » sur l’atmosphère », avance Verchot.

« Même si dans le cas des tourbières et des mangroves, il est surtout question de dioxyde de carbone, il ne faut pas sous-estimer l’impact conjugué de ces trois gaz issus de ces écosystèmes. »

Cet article a été publié pour la première fois par le RTCC ( Responding to Climate Change) dans le cadre de la semaine des sujets sur la forêt. Suivez les articles de la semaine sur Twitter via #ForestWeek et exprimez votre point de vue sur notre page Facebook.

Emissions de dioxyde de carbone, de méthane et de protoxyde d’azote issues d’une plantation de palmiers à huile en tourbe profonde en fonction de l’utilisation d’engrais azotés par le CIFOR

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