Interview: partager les “bénéfices” de REDD+

Les efforts internationaux pour réduire la perte et la dégradation des forêts à travers du programme REDD +, soutenu par l'ONU, sont susceptibles de faire parvenir des bénéfices importants à des pays en voie de développement riches en forêts.
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Les pays du monde développé ont promis de l’argent et du soutien aux pays forestiers tropicaux afin de les inciter à protéger les forêts. CIFOR/Tomas Munita

BOGOR, Indonésie – Les efforts internationaux pour réduire la perte et la dégradation des forêts à travers du programme REDD +, soutenu par l’ONU, sont susceptibles de faire parvenir des bénéfices importants à des pays en voie de développement riches en forêts. Mais la dernière étude menée par le Centre pour la Recherche Forestière Internationale (CIFOR) suggère que ces prestations risquent de ne pas être distribuées par des méthodes justes et socialement inclusives.

Le projet du CIFOR sur le “Partage des Bénéfices de la REDD + : Opportunités et Défis dans les Pays en voie de Développement” vise à améliorer la façon dont sont distribués les bénéfices de la REDD+ afin d’aider à assurer que le programme soit équitable, efficace et rentable.

« Notre analyse préliminaire des modèles existants de partage des bénéfices dans 13 pays pilotes REDD+, dont le Brésil, l’Indonésie et la Tanzanie, a permis de constater qu’il y a des compromis entre être complètement efficace et équitable, et que ceux-ci dépendent des différentes approches au partage des bénéfices », dit Grace Wong, chercheuse principale au CIFOR pour le projet et co-autrice de l’étude.

La déforestation et la dégradation des forêts contribuent à près de 20% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Pour lutter contre cela, les pays du monde développé ont promis de l’argent et du soutien aux pays forestiers tropicaux afin de les inciter à protéger leurs forêts – un programme connu sous le nom de Réduction des Emissions issues de la Déforestation et de la Dégradation des forêts ou REDD+. L’ampleur des bénéfices est liée aux taux de réduction de la déforestation et de la dégradation.

Lors d’un atelier à Jakarta la semaine dernière qui a examiné le contexte, les éléments et les dynamiques de la REDD + en Indonésie, Mme Wong a parlé avec Nouvelles des forêts sur les idées alternatives de partage des bénéfices et les risques associés à chacune d’elles.

Q : Qu’est-ce que le partage des bénéfices dans le cadre de la REDD+ ?

R : « Le partage des bénéfices porte sur la répartition des gains nets directs et indirects de la mise en œuvre de la REDD+.

Les gains directs viennent sous forme de transferts monétaires, tandis que les gains indirects sont liés à la façon dont la mise en œuvre de la REDD+ peut apporter des éclaircissements sur les questions de propriété foncière, promouvoir la gestion et la gouvernance forestière, et améliorer les services écosystémiques tels que l’approvisionnement en eau.

Nous examinons les gains nets parce que nous devons reconnaître qu’il y a des coûts impliqués : la mise en œuvre, les coûts de transaction et d’opportunité. L’identification des groupes qui devraient bénéficier de la REDD+ implique inévitablement la prise en compte de ceux qui assument les dépenses. »

Q : Quels sont les différents groupes identifiés en tant que « bénéficiaires » de la REDD+ ? 

R : « Jusqu’à présent, il y a un important débat quant à savoir si les bénéfices doivent être distribués à :

Ceux ayant une revendication ou un droit juridique à la terre et aux forêts: les propriétaires fonciers, les concessionnaires et, dans certains cas, les gouvernements. Étant donné le manque de clarté des régimes fonciers dans de nombreux pays en voie de développement, ceci pourrait désavantager les pauvres utilisateurs de la forêt qui n’ont généralement pas de droits reconnus par la loi sur les produits issus de la forêt ou sur les terres ;

Ceux qui sont en train et qui sont en mesure d’atteindre une réduction des émissions : ce discours est au cœur des objectifs d’efficience et d’efficacité de la REDD+ ;

Ceux qui sont déjà en train de gérer durablement la forêt : connu sous le terme de « gardiens des forêts » et qui sont souvent des groupes autochtones ;

Ceux qui portent les divers coûts de mise en œuvre de la REDD+ : les organismes du gouvernement et d’application de la loi, les promoteurs et exécutants des projets REDD+, et les propriétaires fonciers ou les utilisateurs de la forêt qui perçoivent des bénéfices issus d’autres utilisations des terres et dont les moyens de subsistance pourraient être perturbés ;

Les plus pauvres dans la communauté : ceci rejoint l’approche du développement en faveur des pauvres ;

Ceux qui sont des facilitateurs efficaces de la mise en œuvre de la REDD+ : les organismes gouvernementaux à différents niveaux, les promoteurs de projets REDD+ et les groupes d’ONG qui facilitent la mise en œuvre.

Les différents discours sur qui devrait en bénéficier peuvent être contradictoires. Les recherches du CIFOR examinent ces débats et les compromis issus des différents discours. »

Q : Quels sont les compromis et les risques impliqués ?

R : « La distribution des bénéfices aux pauvres et à ceux qui gèrent déjà durablement la forêt est importante d’un point de vue de l’équité, mais elle n’est pas nécessairement l’utilisation la plus efficace des fonds de la REDD+, car elle implique peu de gain supplémentaire en termes de carbone.

D’un point de vue technique, la distribution la plus efficace et rentable des bénéfices pourrait voir un transfert de fonds aux grands propriétaires terriens (et dans le cas de l’Indonésie, aux concessionnaires); ceux qui contribuent potentiellement à des réductions d’émissions les plus élevées et au moindre coût.

Toutefois, ceci récompense ceux qui déboisent déjà ou ceux qui représentent la menace de le faire, agissant ainsi comme une incitation perverse pour un tel comportement. Ceci risque également de marginaliser les gardiens de la forêt – les groupes qui pratiquent déjà une bonne gestion de la forêt – et ceux-ci comprend les communautés autochtones qui sont souvent déjà marginalisés. »

Q : Qu’est ce que l’analyse préliminaire a-t-elle révélé sur les approches de partage des bénéfices dans les pays pilotes de la REDD + ? 

R : « Nous avons constaté que les approches de partage des bénéfices ont tendance à être construit sur des modèles existants dans chaque pays, y compris les mécanismes basés sur le marché tels que les ‘Paiements pour Services Environnementaux’, les systèmes communautaires de gestion forestière, les accords de concession forestière et les institutions de financement.

La mesure dans laquelle les mécanismes de partage des avantages peuvent être efficaces, rentables et équitables dépend du niveau de la responsabilité, de la transparence et de la capacité de gestion financière de l’Etat, qui ont été jugés assez faibles dans la plupart des pays.

Les difficultés rencontrées dans de nombreux pays de l’étude comprenaient des dispositions juridiques contradictoires, des mandats se chevauchant et des mises en œuvre incohérentes entre les organismes gouvernementaux, une faible application de la loi, un financement et des effectifs limités, la corruption et l’accaparement par les élites. »

Q : Quoi d’autre doit être considéré si nous voulons parvenir à des mécanismes de partage équitables, efficaces et effectifs des bénéfices ?

R : « Le CIFOR essaye de faire avancer la discussion sur la récompense des personnes et des communautés qui conservent et gèrent déjà leurs forêts de façon durable.

L’analyse préliminaire a montré que cet argument a été absent dans les pays en voie de développement qui ont tendance à se concentrer sur l’indemnisation de ceux qui assument les coûts et ceux ayant des droits fonciers légaux, risquant ainsi la marginalisation des groupes ayant des droits fonciers coutumiers ou traditionnels.

Il n’y aura jamais une solution gagnant-gagnant qui va parfaitement réaliser tous les trois ‘E’ – équité, efficience et efficacité. Cependant, il est important qu’ils soient tous pris en compte de manière égale dans un processus qui implique le débat transparent, la discussion et la participation égale.

Je crois que cela est tout aussi, voir plus important que le résultat parce que c’est seulement par un tel processus que la REDD + peut être acceptée et considérée comme légitime au sein des pays. »

 

Pour plus d’informations sur les questions discutées dans cet article, veuillez contacter Grace Wong sur g.wong@cgiar.org 

Ce travail s’inscrit dans le cadre du Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie et est soutenu par la Commission européenne

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