Les scientifiques font appel au savoir local pour approfondir la connaissance des espèces menacées

Faire participer les populations locales peut être un moyen fiable et peu couteux pour identifier les habitats des espèces préoccupantes des forêts tropicales.
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Local people can provide urgently needed biodiversity data, such as sightings of the Proboscis Monkey (pictured). Paul Williams

Les gestionnaires de conservation devraient développer des partenariats avec les populations locales pour obtenir d’urgence des données nécessaires sur la biodiversité, comme sur les observations du Proboscis Monkey (sur la photo). Photo: Paul Williams

Bogor, Indonésie (27 septembre 2013) _ Faire participer les populations locales peut être un moyen fiable et peu coûteux pour identifier les habitats des espèces préoccupantes des forêts tropicales, a relevé une étude*.

Un article, écrit par des scientifiques travaillant avec le Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR) et récemment publié dans la revue Environmental Management*, a conclu que les populations locales peuvent aider à approfondir les connaissances dans de grands domaines, aidant ainsi à améliorer la gestion de la conservation.

Puisque les gestionnaires de conservation ne peuvent pas contrôler et protéger toutes les espèces des forêts tropicales, ils ont besoin d’informations fiables sur les espèces d’importance afin de fixer les priorités, selon l’étude.

Néanmoins, dans la majeure partie des tropiques ces données sont absentes, incomplètes ou peu fiables. Les études sur la biodiversité ont en outre un coût prohibitif en termes d’expertise, de temps et d’argent. En conséquence, l’étude s’est intéressée aux approches alternatives qui utilisent mieux les connaissances locales.

L’étude de six semaines a été menée dans le district de Malinau dans la province de Kalimantan Est en Indonésie entre 2007 et 2008. Elle a impliqué 52 informateurs dans sept villages et a coûté environ 5 000 dollars. Des études comparables, faisant seulement recours à des scientifiques, auraient coûté environ 150 000 à 400 000 dollars, selon l’étude.

L’étude faisait partie d’un trio de projets de recherche à Malinau, réalisé entre 2007 et 2008. Les chercheurs du CIFOR travaillent dans la région depuis le début des années 1990. Deux études antérieures, déjà publiées, ont exploré l’évolution du rôle que joue la forêt pour les communautés locales ; ainsi que la façon dont les peuples, dépendants de la forêt, font face aux crises, telles que l’inondation importante qui a emporté de nombreuses habitations et cultures en 2006.

Ces études, tout comme d’autres études* antérieures dans la même zone, ont révélé une biodiversité extraordinairement riche, avec des populations locales qui possèdent une connaissance approfondie des ressources naturelles, comprenant des milliers d’espèces végétales et animales. Toutefois, jusqu’à récemment cette connaissance* a été largement ignorée.

«Avant l’ère de la décentralisation, toute décision concernant les forêts était prise par les décideurs dans un bureau et négligeait souvent les populations locales», déclare Michael Padmanaba, un scientifique au Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR) et principal auteur de l’étude.

En 1999, le gouvernement indonésien a adopté une politique de décentralisation* visant à donner du pouvoir aux gouvernements provinciaux et locaux, explique M. Padmanaba. Il ajoute que ce processus a également ouvert la porte à une plus grande implication des populations locales dans le processus de prise de décision.

L’utilisation des savoirs locaux devient progressivement plus fréquente, dit-il. Cette étude est particulièrement pertinente pour les gestionnaires et autres décideurs, ajoute-t-il, car elle montre comment les connaissances des populations autochtones peuvent fournir, de façon peu coûteuse, des données nécessaires d’urgence.

«Si nous attendons des enquêtes approfondies dirigées par des experts, de nombreuses forêts seront dégradées ou perdues avant que leurs valeurs de conservation aient été, ne serait-ce que partiellement, évaluées», dit-il. «La participation et les connaissances locales facilitent les études efficaces et à faible coût de l’état de conservation. Nous recommandons que les gestionnaires de la conservation fassent un meilleur usage de ces collaborations potentielles.»

TRAVAILLER AVEC LA COMMUNAUTÉ

Les villageois de l’étude appartiennent à l’une des deux ethnies locales : les Merap, qui sont principalement des cultivateurs de riz, et les Punan, qui extraient principalement des produits forestiers. Les chercheurs ont interrogé des personnes reconnues au sein de leur communauté pour leur connaissance de la forêt et de ses ressources, payant à chacun l’équivalent de 5,50 dollars pour un entretien de deux à trois heures. Comme les femmes des villages étudiés ont généralement moins de connaissances sur les endroits plus éloignés dans la forêt, les informateurs étaient tous des hommes.

Les chercheurs se sont concentrés sur sept villages où ils avaient déjà établi de bonnes relations. Par exemple, des chercheurs ont travaillé de 1999 à 2000 dans les mêmes villages afin de créer, entre autres, des cartes à grande échelle contenant des caractéristiques géo-référencées telles que les rivières, routes et montagnes. Contrairement aux cartes traditionnelles, les cartes géo-référencées sont techniquement plus sophistiquées, ce qui les rends scientifiquement plus crédibles, dit M. Padmanaba.

Ces premières recherches se sont avérées utiles pour déterminer où et quand les villageois avaient observé les espèces d’intérêt pour la conservation, sélectionnées pour l’étude plus récente.

Dans un premier temps, les villageois ont indiqué sur les cartes faites conjointement où ils avaient vu des espèces. Ensuite, les chercheurs ont utilisé la création de la carte, ainsi que des événements importants dans la vie de la communauté, en tant que «repères» dans le temps.

L’étude a porté sur les observations au cours des 10 dernières années, étant donné que les chercheurs étaient préoccupés par l’exactitude des mémoires des interlocuteurs. Comme les chercheurs connaissaient les dates réelles des repères dans le temps, ils pouvaient juger de l’exactitude des souvenirs des villageois et ainsi être plus confiants quant au moment ou les espèces ont été observées.

Les scientifiques ont interrogé les interviewés sur en moyenne deux espèces végétales et six espèces animales connues pour être d’un intérêt régional : rafflesia une plante parasite à fleurs, l’orchidée noire caractérisée par des pétales colorées de vert, ainsi que l’ours malais, le tarsier, le loris lent, le nasique*, la panthère nébuleuse et l’orang-outan. Toutes ces espèces sont menacées par des enjeux tels que la destruction des habitats, la déforestation, l’exploitation forestière et minière, la surexploitation et le feu, qui réduisent les limites de leurs territoires et leurs capacités à survivre.

Parmi les résultats de l’étude, les villageois ont déclaré avoir vu des empreintes, des marques distinctives de griffes et des nids dans les arbres de l’ours malais, dont la peau, les griffes et les dents sont utilisées comme ornements.

Les tarsiers et loris lents, tous deux considérés comme solitaire, avaient surtout été observés pendant la nuit dans les champs agricoles. La panthère nébuleuse nocturne, également prisée pour ses griffes, ses dents et sa peau, a été rarement vue, mais elle a été signalée par l’ensemble des sept villages.

La participation et les connaissances locales facilitent les études efficaces et à faible coût de l’état de conservation. Nous recommandons que les gestionnaires de la conservation fassent un meilleur usage de ces collaborations potentielles.

Ces observations ont agrandi le territoire connu pour ces espèces animales, tout comme l’ont fait les observations de Rafflesia, un genre dont les fleurs, l’odeur et la couleur caractéristiques sont difficiles à confondre avec d’autres plantes.

L’un des constats surprenants de l’étude est que le nasique a été signalé en amont de son habitat naturel, ajoute M. Padmanaba.

Il existait également des observations plus anciennes d’orang-outan, suggérant qu’il a déjà vécu dans la région ce qui pourrait indiquer un potentiel pour des réintroductions.

Trouver des traces de ces espèces dans un territoire inattendu est le signe pour les gestionnaires de forêt qu’il faut reconsidérer les stratégies de conservation dans cette région, selon M. Padmanaba.

JUGER LA CRÉDIBILITÉ

«Un des principaux problèmes qui se pose est de savoir si nous pouvons faire confiance à l’information provenant de la population locale», dit Douglas Sheil, associé majeur du CIFOR et co-auteur de l’étude. «Nous avons comparé la nature et le contexte des diverses observations pour voir si elles correspondent à ce que nous savons sur ces espèces.

«Par exemple, les animaux connus pour être solitaires étaient-ils observés seuls? Etaient-ils dans des habitats adaptés et présentaient-ils des comportements typiques? Comme nos informateurs ont fait preuve d’une bonne connaissance des espèces en question, et que même les observations les plus insolites apparaissaient crédibles, nous avons conclu que le potentiel d’impliquer les populations locales dans la production de ces types de données est positif.»

Pour évaluer la fiabilité des informateurs, les chercheurs ont inclus l’orchidée noire dans l’étude. Cette plante, vivant généralement dans les paysages de landes et les zones de sol sableux à quartz, n’est pas connue pour pousser à Malinau. Ainsi, si des informateurs avaient déclaré avoir vu des orchidées noires et n’avaient pas été capables de le soutenir avec des informations sur un site plausible, la crédibilité des autres résultats aurait pu être mise en cause. En réalité, personne n’a dit avoir vu cette plante, ce qui signifie que les informateurs «ont passé le test», selon l’étude.

«Un résultat négatif sur l’ensemble de nos informateurs nous rassure sur le fait que les informateurs ne déclarent pas des observations positives simplement pour ‘nous satisfaire’», ajoute M. Sheil.

Réaffirmant des recherches antérieures, l’étude énumère plusieurs défis majeurs à l’application des connaissances locales sur une plus large échelle: avec qui travailler, comment assurer une communication efficace, comment décider ce qu’il faut croire et comment éviter les obstacles et les malentendus culturels. Cependant, pour leur étude les chercheurs ont dit être convaincus que les déclarations des habitants sont fiables.

«Nous avons passé des semaines, voire des mois, à établir des relations avec les populations locales», déclare M. Padmanaba. «Plus vous restez longtemps, plus vous développez la confiance. Mais il est également important de communiquer clairement et de leur remettre les résultats de la recherche.»

La prochaine étape, dit-il, est d’informer les praticiens de la conservation, les chercheurs, les gestionnaires forestiers, ainsi que les décideurs du gouvernement, sur les avantages à impliquer les connaissances locales dans la conservation.

Pour plus d’informations sur les enjeux abordés dans cet article, veuillez contacter Michael Padmanaba à m.padmanaba@cgiar.org ou Douglas Sheil à d.sheil@cgiar.org

Ce travail s’inscrit dans le cadre du Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie et est soutenu par le Programme Forêts et Environnement, Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR).

* Liens non traduits en français

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