Cameroun : une richesse forestière ignorée

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Un jour de travail comme les autres dans un marché national. CIFOR/Charlie Pye-Smith

Le commerce de bois exploité de manière informelle fournit un moyen de subsistanceà plus de 45 000 personnes, une importante source de revenus à des fonctionnairescorrompus et pas un centime à l’État.

Le nom de certaines des personnes interrogées dans la filière nationale du bois au Cameroun a été modifié,afin de respecter leur anonymat.

À Bertoua, la capitale de la région de l’Est duCameroun, les négociants en bois sont confrontésà deux grands problèmes, explique Amadou, unnégociant local. Le premier (et vous entendrez lamême plainte sur tous les marchés du pays), c’estla baisse de l’offre. Ces vingt dernières années,plusieurs scieries locales ont fermé, ce qui se traduit,pour lui et ses collègues, par une dépendanceaccrue vis-à-vis des produits fournis par des petitsscieurs, la plupart opérant de manière informelle.

« Mais notre plus grand problème », continueAmadou, « c’est le harcèlement des fonctionnairesqui exigent des paiements informels ». Une manièrepolie de dire « pots-de-vin ».

Une partie du bois qui passe par le marché deKano, à Bertoua, est vendue à des acheteurs deYaoundé, la capitale du pays, mais la majeure partieest destinée au Tchad, à plus de 1250 kilomètres aunord. Un voyage onéreux.

« Entre Bertoua et la frontière, on compte unevingtaine de barrages routiers tenus par desfonctionnaires du Ministère de la Forêt et de laFaune (MINFOF), de la gendarmerie et de la police, et la seule manière de passer est de leur verser del’argent », indique Amadou.

Les fonctionnaires savent que le bois a le plussouvent été récolté de manière illégale ; si lesnégociants refusent de payer, ils ne passent pas.

Amadou estime que le montant de ces « frais deroute » versés aux barrages routiers peut s’élever à1,5 million de CFA (2300 euros) par voyage.

« C’est l’équivalent du bénéfice réalisé sur unchargement de 50 m³, donc pour gagner del’argent, nous devons transporter 30 m³ de boissupplémentaires, ce qui signifie que chaquechargement excède largement le poids maximalautorisé », poursuit-il.

Ironiquement, cette surcharge offre une autreoccasion pour les fonctionnaires d’exercer leurracket. Pour passer les cinq ponts-bascules situés entre Bertoua et le Tchad, Amadou doit débourserun million de CFA de plus (1500 euros), ce qui portele montant de ses paiements informels à 2,5 millions CFA par voyage (3850 euros).

Amadou fait ce compte rendu à Paolo Cerutti etGuillaume Lescuyer, deux chercheurs travaillantau bureau de Yaoundé du Centre de rechercheforestière internationale (CIFOR). Ces deux dernièresannées, les études réalisées par Cerutti, Lescuyeret leurs collègues ont montré que l’exploitation informelle de sciages destinés au marché intérieuret aux marchés régionaux est tout aussi importante,en volume, que l’exploitation industrielle formelledestinée à l’exportation. Elle offre un moyen desubsistance à trois fois plus de personnes, ainsiqu’une source de revenus non négligeable auxfonctionnaires corrompus. Toutefois, contrairementà l’exploitation industrielle, elle ne génère aucunrevenu pour l’État, sous forme de taxe d’abattageou d’autres taxes.

Avant de quitter le marché de Bertoua, Ceruttieffectue un calcul rapide. Chaque année, environ68 000 m³ de bois scié sont exportés au Tchaddepuis la région de l’Est, la moitié étant acheminéepar le rail, l’autre moitié par la route. Environ 40 %proviennent des scieries industrielles, le reste estfourni par l’abattage informelle à la tronçonneuse.

« Si l’on prend les chiffres d’Amadou, les négociantsdoivent verser des pots-de-vin pouvant semonter à environ 31 000 CFA (47 euros) par mètrecube, » explique Cerutti. « Cela signifie que les fonctionnaires rencontrés en chemin collectent environ un million d’euros par an, une très grossesomme d’argent. »

Cela n’étonne pas les chercheurs du CIFOR, qui ontrecueilli les témoignages de plus de 200 personnessur le fonctionnement du système de paiementsinformels. Bien que ces paiements soient le plussouvent versés à des personnes travaillant « enbrousse », aux barrages routiers et sur les marchés,une grande partie de l’argent remonte l’échellehiérarchique du chef de poste et ses agents auxhauts fonctionnaires du MINFOF, dans les fameuses« enveloppes ».

Les vendeurs doivent souvent verser des pots-de-vin pour passer les barrages tenus par les fonctionnaires.

Les recherches menées par le CIFOR indiquent quela corruption est à présent tellement ancrée ausein du MINFOF que toute tentative de réformer laloi risque d’être vigoureusement contestée par lesfonctionnaires qui complètent leurs revenus par despots-de-vin. Elles ont également souligné d’autres problèmes majeurs liés à l’absence d’un cadrejuridique pertinent pour la filière nationale de sciage. La récolte non contrôlée pourrait menacer l’offrefuture de bois et, contrairement à la productionindustrielle destinée à l’exportation, le commerceintérieur ne génère aucun revenu pour l’État.

La portée de cette histoire va bien au-delà du Cameroun. Le gouvernement a récemment signéun Accord de Partenariat Volontaire (APV) avecl’Union européenne, dans le cadre du Plan d’actionpour l’application des réglementations forestières,la gouvernance et les échanges commerciaux(en anglais Forest Law Enforcement, Governanceand Trade, ou FLEGT). Il s’est ainsi engagé à ceque l’intégralité du bois récolté dans le pays – pas seulement le bois issu des concessions industrielleset destiné à l’exportation – soit d’origine légale d’icià 2012. Les recherches du CIFOR ont égalementmontré qu’environ la moitié du bois commercialiséchaque année n’était pas enregistrée dans lessystèmes officiels de collecte des données, puisquele bois est récolté sans permis. En outre, l’acquisitiond’informations auprès des scieurs concernés estdifficile dans le cadre juridique actuel. Tout celamenace l’intégrité de l’accord avec l’UE.

« L’objectif de notre étude est de fournir desdonnées et une analyse qui, nous l’espérons,aideront le gouvernement à introduire desréformes dans le secteur forestier, » expliqueLescuyer. « Nous pensons que ces réformespermettront aux populations des zones ruralesde vivre légalement – plutôt que illégalement –de l’exploitation du bois, et d’une manière qui nemenace pas la ressource, tout en générant desrevenus significatifs pour l’État. »

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