Analyse

Monty Python et les forêts tropicales. Vraiment ?

Nous ne le répèterons jamais assez : nous sommes tous et toutes tributaires des forêts !
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Imaginez votre meilleure voix de John Cleese : « D’accord … d’accord … mais à part le système sanitaire, la médecine, l’éducation, l’irrigation, le système de santé publique, les routes, les aqueducs, les bains et l’ordre public … qu’est-ce que les Romains ont fait pour nous ? »

Le célèbre sketch du film « La Vie de Brian » de Monty Python illustre le fait que, malgré l’apport de tous ces biens et services, la présence des Romains n’était pas toujours appréciée.

On pourrait dire la même chose des forêts tropicales.

Bien que de nombreuses personnes admettent tacitement que les forêts et les arbres ont une valeur intrinsèque et esthétique, nous, en tant que scientifiques, n’avons pas réussi à convaincre les décideurs politiques et les grandes entreprises qu’elles sont essentielles, non seulement pour le bien-être humain, mais également pour l’économie mondiale.

On pourrait penser que les preuves scientifiques dont nous disposons seraient suffisantes pour permettre leur protection et leur gestion durable.

Mais ce n’est pas nécessairement le cas.

LE BON CÔTÉ DES FORÊTS

La plupart d’entre nous sommes conscients du fait que beaucoup de nos produits les plus importants à base de plantes proviennent des forêts tropicales. Thé, café, cacao, quinine, huile de palme et autres ont tous une histoire de développement très intéressante et souvent complexe. Leurs trajectoires ont permis l’expansion des systèmes économiques qui, en reposant sur des économies coloniales quelque peu abusives, ont changé la nature même (souvent littéralement) des sociétés dans lesquelles nous vivons.

Qui savait, par exemple, que les Hollandais ont cédé l’île de Manhattan aux Britanniques en échange de l’accès monopolistique aux îles riches en noix de muscade de l’Indonésie, ce qui a fait d’eux un acteur majeur de l’économie européenne au XVIIIème et XIXème siècles ?

Ou que la plantation en Inde de l’arbre énigmatique de Cinchona, endémique des hautes terres de l’Équateur, a permis l’avancement de la colonisation européenne dans la plupart de l’Extrême-Orient (pour le meilleur ou pour le pire) ? En effet, le médicament contenu dans son écorce, la quinine, a fourni un traitement contre le paludisme et a sauvé des millions de vies.

Ou encore que le buisson rabougri  trouvé uniquement dans les vallées isolées de l’Éthiopie a donné naissance au commerce mondial du café, un produit dont beaucoup de gens semblent incapables de se passer au quotidien ? 

On pourrait penser que les preuves scientifiques dont nous disposons seraient suffisantes pour permettre leur protection et leur gestion durable. Mais ce n'est pas nécessairement le cas.

Terry Sunderland

Ou que le cacao amer de l’Amérique latine, un favori de la cour britannique d’Elizabeth, a offert le plaisir chocolaté chéri par tant de personnes dans le monde développé ?

Cependant, comme nous avons pu souvent le constater, dès qu’un produit forestier est commercialisé, il est retiré de l’économie forestière et peut finalement entraîner la destruction de sa source même. L’expansion du palmier à huile au cours des vingt dernières années est un exemple classique de la déforestation induite par la demande mondiale, sans doute à une plus grande échelle que pour de nombreux autres produits.

Alors, où se situent ceux d’entre nous qui tentent de faire valoir que les forêts ont non seulement un rôle à jouer dans la préservation, mais aussi pour le développement durable ?

HEUREUX SONT LES CHERCHEURS

Des recherches récentes ont revu le paradigme disant que les forêts sont extrêmement précieuses pour l’Homme, cette fois avec une base de preuves beaucoup plus forte.

On estime que jusqu’à 1 milliard de personnes dépendent des forêts d’une manière ou d’une autre pour leurs moyens de subsistance et que les femmes en dépendent souvent plus que les hommes.

Dans de nombreux cas, les ménages ruraux génèrent près de 30 % de leurs revenus grâce aux forêts. Nous savons qu’il existe une corrélation significative entre l’accès aux forêts et aux arbres et la diversité alimentaire, donc une meilleure nutrition.

Nous savons également que les services écosystémiques fournis par les forêts sont essentiels pour l’agriculture moderne en termes de pollinisation, d’eau et d’autres services. En outre, nous savons que la forêt joue un rôle majeur dans l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à ses effets.

Mais alors quoi ? Cette recherche a été bien accueillie dans certains milieux. Elle fournit une preuve utile, voir irréfutable, de la valeur des forêts pour les moyens de subsistance locauxla sécurité alimentairela lutte contre la pauvreté et le changement climatique. Beaucoup d’entre nous s’en réjouissent, et ce, à juste titre.

Cependant, une question posée récemment par un donateur majeur lors de la présentation de ce travail m’a fait réfléchir plus sur notre mission globale. La question était : « … super recherche, mais insinuez-vous que nous devrions garder les gens dépendant de la forêt ? »

C’est une observation intéressante, qui nécessite certainement une réflexion sur notre propre mission.

Fondamentalement, nous devons faire valoir que nous traitons d’enjeux beaucoup plus vastes.

Parce que oui, les gens vivant à proximité des forêts ont souvent une meilleure alimentation que ceux ayant décidé de vivre en milieu urbain, indépendamment de la quantité d’argent dont ils disposent.

En effet, les services fournis par les forêts et les arbres supportent une partie importante de nos systèmes agricoles à l’échelle mondiale. 

Donc, pour en revenir à la question principale, nous n’encourageons pas la dépendance aux forêts des membres les plus pauvres de la société. Pas du tout.

Terry Sunderland

Toutefois, pour atteindre la sécurité alimentaire, la tendance au niveau mondial est de se baser traditionnellement sur le défrichement des forêts en faveur des cultures.

Nous possédons des preuves considérables que les forêts et leurs services nous concernent tous d’une certaine façon. Bien qu’il soit crucial que les communautés vivant à proximité des forêts et qui en dépendent bénéficient de l’accès aux fruits sauvages et de culture, aux légumes et aux médicaments, ce n’est pas tout.

Votre tasse de café du matin dépend des pollinisateurs forestiers, sans lesquels votre apport quotidien en caféine vous coûterait beaucoup plus cher.

Le chocolat doit être cultivé sous un couvert forestier afin qu’il donne un haut rendement et soit exempt de maladies. Une grande partie de notre eau potable dépend de la protection des bassins versants forestiers. Les cultures de palmiers à huile, quant à eux, avilissent lorsqu’ils se retrouvent éloignés des forêts naturelles.

En bref, sans forêts, nos produits de base ne peuvent être assurés de manière durable.

Pourtant, tous ces biens et services sont tenus pour acquis, comme le sont les forêts d’où ils proviennent. Avec un climat qui évolue de plus en plus, beaucoup de ces produits de base sont menacés.

Donc, pour en revenir à la question principale, nous n’encourageons pas la dépendance aux forêts des membres les plus pauvres de la société. Pas du tout.

Nous sommes tous tributaires des forêts. Même le pape l’a compris !

Nous devons simplement reconnaître ce fait et ajuster de manière durable nos objectifs de développement et de croissance économique continue à la gestion de nos forêts restantes, ainsi qu’aux paysages qu’elles occupent.

Et ce, pour la nourriture, pour l’eau, pour le bois, pour les médicaments, le tout dans le contexte où le climat est changeant et bouleversé. La gestion durable des forêts n’est pas seulement un enjeu local, mais également un enjeu mondial.

Pour en revenir à l’introduction Python-esque de ce blog, le dialogue continue : le personnage de John Cleese, Reg, déclare : « Il n’y en a pas un parmi nous qui ne serait pas heureux de mourir pour débarrasser ce pays des Romains une fois pour toutes ».

Mais une voix dissidente, consciente de ce que les Romains ont apporté en matière de biens et de services se fait entendre : « Euh et bien si, moi ».

Les preuves scientifiques suggèrent que nous avons besoin de ces voix dissidentes en termes de reconnaissance de la contribution des forêts tropicales au bien-être humain et au développement économique mondial.

Terry Sunderland est directeur de recherche au CIFOR. Vous pouvez le contacter à l’adresse t.sunderland@cgiar.org

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